Quand la pollution devient verte!!!

Publié le par Kayak Meaux

Allumez la télé et vous verrez des dizaines de reportages sur le sujet à la mode : les marrée verte !

 

Beaucoup de choses y sont racontées et le point de vue change en fonction de l’interlocuteur. Difficile dans ce cas de se faire une idée sans avoir la connaissance de quelques données de base. Voici donc une petite synthèse.

 

Tout d’abord, de quoi s’agit-il ?

Régulièrement le littoral breton est envahi d’algues vertes s’agglomérant et se déposant sur les plages tels des hydrocarbures, d’où le nom de « marée verte ».

La responsable ? Une algue très commune, l’Ulve (Ulva armoricana et Ulva rotundata.) ou Laitue de Mer. Elle fait partie de la très grande « famille » des algues vertes, espèces n’ayant souvent rien en commun hormis leur couleur dû à leur très forte teneur en Chlorophylle. Ainsi les marrée verte de Bretagne n’ont rien à voir avec celles de Méditerranée liées à une algue tropicale introduite accidentellement et devenue invasive.

 

Notre Ulve est une plante pouvant atteindre un mètre de haut et large de 20 à 60cm. Elle ressemble franchement à de la laitue, d’où son nom. Elle se fixe via un petit disque (le spire) sur tout les substrats voir à même le sable.  On la retrouve jusqu’à 10m de fond, sur le littoral breton mais également en Baltique, mer du nord, manche… et même en océan pacifique. Elle est comestible, peu se manger crue ou cuite.

 

Alors si c’est une espèce « ancienne », pourquoi ce phénomène de marée verte ?

Le problème n’a rien de nouveau et date des années 1970. Mais depuis 2006 c’est l’explosion avec des ramassages annuels de centaines de milliers de mètres cube sur nos plages (soit quelques milliers de camions). Cette prolifération exponentielle tient au principe d’alimentation et au cycle de reproduction de cette algue. L’homme a introduit le petit plus qui a déclenché la réaction en chaine.

 

Principe de reproduction.

Comme beaucoup d’espèces d’algues, l’Ulve peut avoir une reproduction sexuée ou asexuée. Dans le second cas il s’agit de bouturage (fragmentation). Or l’Ulve a une capacité exceptionnelle à exploiter la lame d'eau peu profonde près du rivage. Leur densité voisine de celle de l'eau de mer, ainsi que leur forme de feuille, leur permettent d'être facilement remises en suspension par les vagues et de continuer à pousser libres en pleine eau, contrairement aux autres macroalgues plus denses qui sont traînées sur le fond et rapidement abimées. En d’autres termes, au lieu d’être détruite par les vagues, Ulves se multiplie !!!

 

 Principe de développement.

Comme beaucoup d’algues, et les Chlorophycées en particulier (algues "vertes"),  se nourrissent de phosphore, d’azote et de soleil. Dans le cas de l’Ulve, le phosphore est peu nécessaire et il est abondant en mer. Elle pousse en eaux peu profondes où le soleil est abondant. Toutefois trop de lumière en limite la croissance (elle pousse en Bretagne, ça tombe bien, il n’y a pas de soleil terrassant !). Quant à l’Azote, c’est une autre histoire. L’Ulve est une plante qui est nitrophiles (= demandeuses de beaucoup d'azote), et les ulves plus que tous les autres genres ; or en mer, il y a peu d'azote inorganique dissous, surtout en été. D’autres plantes nitrophiles se développent aux estuaires de rivières riches en azote mais cela ne convient pas à l’Ulve ne pouvant pousser que dans des espaces confinés (elle ne peut pas se retenir dans le courant). Donc dans un cycle naturel, l’Ulve a du mal à développer.

 

Or  si  l'azote est un facteur limitant de la croissance de l'Ulve, l’homme a introduit massivement ce nutriment indispensable par des apports terrigènes, résultant du lessivage des sols gorgés de l'azote des fertilisants agricoles, les fameux Nitrates !

 

Pendant des années et des décennies, l’agriculture et l’élevage intensifs ont déversés dans les rivières et nappes phréatiques des milliers de tonnes de nitrates, gorgeant les sols pour longtemps. Or, à cela, l’homme a ajouté une modification des sols avec le drainage, la canalisation des cours d’eau… le sol imperméable réagissant alors à la moindre pluie et occasionnera de forts flux d'azote ponctuels. Enfin, les nitrates peuvent être d’origine urbaine avec des stations d’épuration mal calibrées ou peu efficaces. Le lien entre nitrate et algues a été démontré par Letts et Richard … en 1911. Il est donc difficile de se réfugier derrière un problème environnemental nouveau !!!

 

Ce problème environnementale s’appelle eutrophisation, proliférations massives de certaines espèces d'algues, micro- ou macroscopiques, suite à un enrichissement trop important des eaux en éléments nutritifs. Par leur décomposition, ces masses algales peuvent provoquer une disparition d’oxygène dissous dans les eaux, douces ou marines. S’en résulte un apprivoisement de la biodiversité et donc un appauvrissement du milieu dépassant l’épiphénomène de marée verte !

 

Mais le problème ne se limite pas à un désastre écologique. En effet, la putréfaction des tonnes d'ulves dégage de l'hydrogène sulfureux, non seulement nauséabond mais aussi néfaste pour les espèces vivantes du milieu. La couche supérieure sèche au soleil et devient alors imperméable aux échanges gazeux. Les couches inférieures ne bénéficient plus d'oxygène. Les bactéries présentes dans l'algue libèrent alors du soufre. Le tout forme de l'hydrogène sulfuré. En marchant sur la couche supérieure, le promeneur la perse et libère le gaz mortel.

 

De plus, la décomposition des algues sur place réalimente en nutriments la prolifération des générations suivantes. En ramassant les algues et en les mettant dans un trou, on ne fait qu’un transfert de pollution pur et simple, particulièrement en cas de proximité d'un cours d'eau. Le "jus" d'algue chargé en azote minéral, extrêmement soluble, rejoint les zones sensibles en un court délai. De plus, une telle quantité d'algues en décomposition favorise la prolifération bactérienne. Cette solution est d’ailleurs interdite depuis quelques années.

 

Alors que faire ?

Comme souvent, c’est l’agitation des politiques et des lobbys. Les premiers nient le problème malgré une condamnation des préfets bretons en 2007 pour régularisations massives d'élevages illégaux, dysfonctionnements des conseils départementaux d'hygiène, retards dans l'application des directives européennes, validation d'études d'impact insuffisantes ... Notre Ministre de l’écologie a fait appel de cette condamnation comme si cela allait résoudre le problème. D’ailleurs, la France a été à plusieurs reprises rappelée à l’ordre par Bruxelles pour non respect des directives Européennes. Encore une fois, le gouvernement a fait appel. Reste plus que l’agitation en annonçant des aides, des plans mais sans attaquer le fond du dossier. Quant aux industriels, les idées foisonnent pour le recyclage des algues. Engrais, médicaments, carburants… tout y passe, à grand frais de dépenses publiques mais sans réelle retour économique positif. C’est le principe « Polluez sans gêne, nous traitons la merde pour vous », en omettant le désastre écologique qui y est lié.

 

La seule solution serait de combattre l'eutrophisation à la source en réduisant l'apport d'azote dans les sols et les eaux, ce qui implique un changement des pratiques agricoles (remplacement du maïs par de la prairie, réduction drastique des sols nus l'hiver, fertilisation raisonnée). Le monde paysan a conscience de cela depuis plusieurs années mais le changement est très long et très difficile économiquement. Pour réduire significativement le phénomène il faudrait revenir sous les 10 mg/l de teneur maximale en nitrates. Or les normes actuelles sont à50 mg/l sur les rivières utilisées pour produire des eaux potables, 25 mg/l étant la valeur guide, valeurs déjà impossible à respecter en l’état et qui équivaudrait à diviser par trois nos apports en actuel en nitrate.

 

D’autre part il faudrait augmenter le pouvoir épurateur du bassin versant (mise en place de talus, de haies et de zones boisées, préservation et restauration de zones humides en fond de vallée, maîtrise des réseaux drainage vers les zones épuratoires). Mais le chantier est colossal est demandera beaucoup plus d’investissement qu’une simple aide au ramassage. De plus cela touche directement nos modes de vie (immenses zones bétonnées, commerciales, autoroutes…).

 

Sans un changement radical, point de salut et le littoral breton sera encore pendant de nombreuses années vert… vert de rage !

En attendant, évitez de vous promener sur ces tapis verdoyant (de toute manière, ça pu !).

Publié dans Environnement

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